Pour notre histoire suivante, j’ai accompagné Alex dans une zone non loin de Sintra, à Mem Martins, où se trouve le club colombophile Algueirão e Mem Martins.
Et c’est ici que nous rencontrons Antonio, entraîné dans cette passion par un ami. À travers ses histoires, nous ouvre un monde absolument inconnu, celui des pigeons voyageurs, que nous décidons donc de partager avec vous.
Mais avant d’entrer dans les détails, essayons de mieux comprendre cette tradition qui est bien plus ancienne qu’on ne peut l’imaginer.
De Ramsès III au roi Salomon, en passant par Gengis Kahn ou les forces armées du XXe siècle, les pigeons voyageurs ont influencé le cours de divers conflits armés à travers l’histoire et sont devenus au cours des derniers siècles des « athlètes de haut niveau », capables de voler mille kilomètres en une journée.
Les courses de pigeons sont l’art d’élever des pigeons voyageurs pour la compétition et sont devenues un sport en Belgique en 1820. D’abord pratiquées principalement en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne, elles se sont ensuite étendues à la péninsule ibérique dans les années 1920 et 1930. Le Portugal a remporté une médaille d’or aux 36e Pigeon Olympics il y a deux ans.
Les pigeons voyageurs parcourent des kilomètres en une seule journée avec l’instinct de rentrer chez eux et un « GPS biologique » aligné avec le champ électromagnétique de la planète, qui leur donne un sens unique de l’orientation. Et ils créent une relation unique avec ceux qui leur fournissent nourriture et abri.
Le pigeon voyageur actuel est le résultat de croisements de quelques races belges et anglaises, réalisés dans la seconde moitié du 19ème siècle. Ce modèle de pigeon a été continuellement sélectionné pour déterminer deux caractéristiques principales: une capacité d’orientation et un morphotype athlétique.
La tâche des éleveurs de pigeons est d’améliorer les compétences physiques et d’orientation pour participer aux championnats. Ils développent des vitesses de pointe comprises entre 87km/h et 102km/h sur des distances pouvant dépasser 1 200 kilomètres.
Dans ces compétitions, les pigeons voyageurs ne transportent pas de messages d’une destination à une autre mais sont transportés de leur colombier à un certain point de départ, d’où ils doivent rentrer chez eux.
C’est un sport qui, surprenant plusieurs personnes, est devenu le 3ème le plus pratiqué au niveau national, il est pratiqué partout dans le monde, des Amériques au continent asiatique émergent et riche, à savoir la Chine et le Japon, l’Afrique du Sud a aussi le » plus grande course au monde « le » Sun City Million Dolar Race Pigeon « où l' »amateur » (nom par lequel les propriétaires des pigeons concurrents s’identifient) remporte un prix de 1 million de dollars, plus une partie de la valeur pour laquelle le pigeon gagnant sera mis aux enchères.
Grâce aux explications d’Antonio, président de ce club, on découvre qu’il y a pratiquement des clubs colombophiles dans tous les quartiers qui sont ensuite organisés par région et puis il y a une association nationale.
Chaque « entraîneur » a environ 100 pigeons ou plus. La sélection des meilleurs est toujours faite pour les inscrire aux compétitions.
Le club Mem Martins est assez ancien, il date de 1976, mais Antonio explique qu’il y en a des plus anciens. Celui de Lisbonne a été parmi les premiers à démarrer, mais aujourd’hui ce n’est pas le plus fort au niveau national.
Chaque club a plusieurs équipes et Antonio nous amène à rencontrer la sienne, appelée Avelinos, Barroso & Camolas où Camolas est Antonio, qui dans cette équipe travaille avec Josè Avelino, Marco Barroso et João Avelino.
Grâce à cette équipe, nous avons pu observer de plus près comment fonctionne le travail d’entraînement et de préparation des pigeons. Ceux-ci sont formés et soignés dans des colombiers et souvent les fans de ce sport sont obligés d’abandonner parce qu’ils n’ont pas assez d’espace pour placer le colombier.
Quand, par exemple, vous habitez dans un immeuble à appartements, les autres locataires ne le permettent pas toujours, et même si vous habitez dans une maison, parfois les voisins ne sont pas d’accord. Sans compter que souvent l’évolution de la ville et la nécessité de construire de nouvelles maisons ont conduit à la destruction de pigeonniers.
Dans certains cas, la municipalité a également tenté d’aider en proposant la construction de véritables villages colombophiles.
Antonio nous explique que s’engager dans l’élevage et l’entraînement de pigeons est très compliqué, en plus d’être extrêmement coûteux car les produits nécessaires, la nutrition et les soins médicaux peuvent être très coûteux. Et c’est une passion qui demande de nombreuses heures de travail.
Tout d’abord ils nous expliquent qu’il nous faut des pigeons pour la reproduction et des pigeons pour les concours (leur fils). Les œufs sont fécondés pendant 18 jours avant la naissance des pigeonneaux. Lentement, les petits doivent s’habituer à l’environnement et à la rue. Cela commence par de petits vols spontanés dans le pigeonnier, puis commence par l’entraînement proprement dit.
Le traîneur de pigeons doit élaborer un véritable plan d’entraînement. Les pigeons doivent s’entraîner deux fois par jour. Quand ils sont prêts, on commence par les habituer à s’enfuir, les laisser libres et les faire rentrer seuls chez eux. Il démarre à 120 km puis augmente la distance.
Un accompagnement quotidien et beaucoup de soins sont nécessaires.
De nos jours, l’entraîneur de n’importe quel sport n’est pas seulement un entraîneur, il doit être un leader, il doit être un psychologue, il doit être un entraîneur sportif, un analyste, il doit être tout ce qui tourne autour de l’art de diriger une équipe, et ainsi de suite, dans un « colombophile » il y a un « nutritionniste » – la nourriture en semaine n’est pas toujours la même, ces animaux font des tests allant de 200-300 km (courses de vitesse), en passant par 300-500 km ( moyenne distance) et de 500 à 800 km (profondeur), étant que pour ceux qui volent plus proche, le pigeon doit être plus léger en tant que pour ceux qui volent plus loins, ses réserves énergétiques doivent être plus importantes; un « vétérinaire » – Tous les pigeons pour pouvoir pour participer aux compétitions, doivent être vaccinés en début de saison, après quoi il est indispensable d’effectuer des traitements contre les maladies les plus courantes, telles que la coccidiose, la trichomonase, la salmonellose et les voies respiratoires. Il est important de toujours faire attention pendant la saison, comme un pigeon ne vole pas avec seulement ses ailes, si ses voies nasales et/ou ses poumons sont obstrués cela lui coûte de courir. Il est également préparateur physique – expert en une grande partie de la physiologie de l’effort pour la récupération de l’athlète après la compétition, des vitamines à administrer, des acides aminés ou encore des électrolytes pour la récupération; tout cela fait partie de la compétition et de la vie d’un traîneur des pigeons.
Traiter les pigeons comme des athlètes de compétition est un processus long et très particulier qui demande patience et méthode de travail.
Au Portugal, les courses de pigeons ont lieu entre février et juin de chaque année et les mois restants, il y a d’autres courses de pigeons, à savoir les derbies. Le nombre de pigeons est estimé à 4,5 millions.
Le club organise la livraison. Chaque pigeon a un anneau à la patte. Avant, il s’agissait d’un anneau en caoutchouc avec un numéro que l’entraîneur enregistrait et lorsque le pigeon revint, il nota le numéro et récupéra l’anneau. Mais cela pourrait conduire à la tricherie. Aujourd’hui, le système est beaucoup plus complexe. Chaque entraîneur et chaque club de référence dispose d’une machine qui enregistre les pigeons individuels avec le numéro de référence d’un anneau d’étain sur la patte qui correspond à une véritable carte d’identité. Le transport s’effectue dans des camions TIR, équipés des soins nécessaires au bien-être des oiseaux, en termes d’embrèvement, de contrôle de la température interne et de nourriture, étant d’authentiques athlètes de haute compétition.
Arrivés au point de départ, les pigeons sont relâchés et commencent le vol de retour. Ils atteignent une vitesse de 700/800 km/h.
Il existe diverses théories, mais il n’y a toujours pas d’explication concrète sur la façon dont ils parviennent à s’orienter et à repartir, sachant qu’ils arrivent au point de départ dans un camion complètement fermé. Mais le fait est qu’ils retrouvent le chemin du retour. Et une fois de retour, chaque coach dirige le CIP du document de chaque pigeon dans la voiture et enregistre ainsi le temps de vol et la vitesse.
Et si au niveau de la préparation physique des pigeons, les éleveurs doivent faire attention à la nutrition et à la santé des animaux, par rapport aux stratégies pour les faire revenir plus vite, le discours est différent, tant la relation entre éleveur et animal peut être déterminante. Étant donné que dans ces compétitions, il ne suffit pas de laisser les pigeons voyageurs à un certain endroit et de les faire rentrer chez eux. Ils doivent rentrer chez eux le plus vite possible.
Il existe plusieurs stratégies.
Par exemple, pendant la semaine les mâles sont séparés des femelles et préparés pour le test et à leur retour ils savent automatiquement que lorsqu’ils arrivent dans le grenier les femelles sont là à les attendre et vice versa. Ou vous pouvez faire une sorte de soupe au lait et au miel.
Mais pour autant que nous comprenions, chacun a son propre secret et ne veut pas le révéler.
Sommes-nous sur le point de quitter nos nouveaux amis quand il arrive un autre membre du club, qui n’a plus de pigeons mais continue de venir au club: Carlos Barbosa. Il a commencé à se consacrer aux pigeons par passion. Originaire de Ponte de Lima, il a élevé des pigeons dans son enfance et a créé un tel lien avec eux que, lorsque les pigeons étaient vendus sur le marché, si l’acheteur ne prenait pas soin de les garder dans la maison les jours suivants, les pigeons fuyez et revenez. Son père lui avait dit un jour que les mêmes pigeons étaient revenus trois fois !
Il nous laisse avec une histoire vraiment incroyable et drôle. Il dit avoir accueilli et entraîné un pigeon dont personne ne voulait, car il refusait de s’accoupler et passait ses journées près de pigeons mâles comme lui. Inscrit à une course, il a réussi à épater tout le monde.
Carlos avait quitté la maison, calculant que les pigeons commenceraient à revenir dans quelques heures. Peu de temps après, un appel de sa femme l’avertit qu’un pigeon se trouvait déjà dans le pigeonnier. Étant donné que il restait encore longtemps, il avait pensé à un pigeon perdu qui avait trouvé refuge dans son pigeonnier. Imaginez sa surprise quand, de retour chez lui, il découvrit que ce champion n’était pas seulement son pigeon, mais c’était ce pigeon dont personne n’avait voulu.
Bref, nous partons avec la conscience d’avoir découvert un monde presque inconnu, fait de traditions anciennes, de patience, beaucoup de travail, d’affection, de soins et où il n’y a pas de place pour la discrimination.
Notre prochaine histoire nous emmène dans un monde très spécial, le monde en miniature de la boutique de Carlos.
Originaire de Viana do Castelo, dans la belle région du Minho, Carlos Guimaraes ouvre les portes de sa boutique, dans le quartier Casais de Mem Martins, à la périphérie de Sintra.
Les amateurs de mannequinat, mais pas seulement, seront certainement étonnés de voir le monde qui se cache dans cette boutique.
La passion de Carlos pour le mannequinat a toujours été portée en lui, un monde capable de faire rêver petits et grands.
Le père de Carlos avait un magasin de jouets et il importait de différents pays. A l’époque, Carlos, seize ans et déjà grand amateur de modélisme et de nouvelles technologies, commence à essayer de le persuader d’introduire quelques objets de modélisme dans sa boutique.
Leur première boutique sera à Lisbonne, sur la place Rossio, où les jouets des enfants du père sont combinés avec les modèles de son fils.
La passion pour ce monde accompagnera toujours Carlos, qui même en continuant à travailler dans d’autres domaines, fait de ce monde « en miniature » son oasis.
« Ici je m’amuse, je ne travaille pas » me dit-il. Et cela se perçoit tout de suite, surtout quand, de l’air impatient d’un enfant, il nous entraîne dans les couloirs de sa boutique à la découverte de ce monde qui le fascine tant.
Une vraie vie guidée parmi des modèles en tout genre, des plus simples aux plus sophistiqués, de ceux à la portée de tous à ceux des vrais amateurs désireux d’investir une vraie fortune.
Les premières pièces qu’il nous montre sont celles des voitures et des motos, équipées de télécommande. Dès notre entrée, Carlos nous montre fièrement le coffret d’un modèle de collection dont il a reçu trois exemplaires. « C’est une édition limitée », explique-t-il. Et seules quelques boutiques de modélisme dans le monde en ont reçu quelques-unes.
On passe entre les étagères de toutes sortes de pièces détachées, parfaitement identiques aux vraies mais beaucoup plus petites. Et s’il y a des pièces détachées, des batteries et des outils, il y aura aussi l’atelier… Et le voilà, la zone de réparation, avec aussi un espace recouvert d’un drap blanc, une lampe et la reproduction d’un mini set photographique, où Carlos photographie les nouveaux modèles acquis.
Il existe des voitures de toutes les époques et de tous les modèles, télécommandées, avec des suspensions, qui atteignent des vitesses vraiment remarquables. Carlos explique qu’il y a des concours et que certains passionnés parviennent à créer un véritable garage d’une immense valeur en collectant plus de modèles.
Mais en quittant cette salle pour la suivante, nous sommes surpris par un avion, parfait dans les moindres détails, et Carlos nous explique que ce sont des avions qui peuvent parfaitement voler et qui participent à l’événement Aeromania.
Carlos explique qu’à Sintra, près de l’armée de l’air, il y a une base aérienne où l’on peut piloter ces avions miniatures dès l’âge de 17 ans.
Carlos précise que la proximité de la base aérienne avec la zone de l’armée de l’air n’est pas fortuite car de nombreux jeunes, passionnés de pilotage, passent alors de l’expérience de piloter leur avion à celle d’un vrai avion. Carlos dans cette base a accompagné beaucoup de garçons, leur apprenant à piloter ces « miniatures parfaites ». Et à cet égard, il nous raconte une histoire vraiment incroyable. Lors d’un voyage, alors qu’il était prêt à embarquer pour Dubaï, un jeune homme en uniforme s’est approché de lui pour le saluer et l’appeler par son nom. Carlos fut surpris de ne pas le reconnaître. Puis il s’est présenté comme « Franceschino ». Carlos a alors dit qu’il comprenait encore moins puisque c’était un nom de bébé et que cet homme lui avait dit que oui, c’était un nom pour un enfant, car c’est ainsi que Carlos l’appelait lorsque Francesco, un garçon à l’époque, avait appris à piloter un avion « miniature » avec lui, donnant ainsi naissance à la passion qu’il a ensuite continué à cultiver à l’âge adulte.
Notre voyage se poursuit parmi de véritables petites œuvres d’art telles que celles conservées dans une vitrine et qui ont été présentées lors du kit de loisirs touristiques de Lisbonne qui se tient chaque année en octobre.
Dans la salle d’à côté il y a des bateaux, des galions modernes mais aussi de vrais galions et Carlos nous en montre un avec des canons en bronze et de vraies planches de bois, au même nombre que le navire qu’il reproduit. C’est un navire de l’époque de l’expansion maritime portugaise. 370 pièces, 6 mois de travaux pour la construire et un coût de 1800 €. Ces œuvres, explique Carlos, se transmettent de génération en génération. Même les voiles ont été traitées avec de l’eau et du sel pour recréer un effet de cristaux qui brillent comme des étoiles comme on le faisait avec les navires de l’époque, nous dit Carlos, pour encourager l’équipage à continuer de voyager.
Bien sûr, il y a aussi de la place pour le Diecast, ce que nous appelons généralement le modélisme. Dans ce cas il n’y a pas à construire mais à collectionner et chaque objet a un petit certificat avec le numéro de série à garder jalousement. Parmi les objets que les motos et les miniatures de Valentino Rossi, qu’il ne manquera pas de nous montrer, se trouve aussi un objet vraiment insolite: la reproduction des camions transportant le vaccin . Aujourd’hui vendus à un prix pas chère mais qui avec le temps et la demande peut prendre de la valeur. Après tout, c’est la loi du marché qui régule la valeur de ces objets de collection.
Le monde en « miniature » de Carlos est vraiment infini : il nous transporte entre des reproductions de guerre, avec des personnages et des objets de la vie quotidienne, ainsi que ceux de la vie militaire, pour recréer l’environnement sous tous ses aspects, ce qu’on appelle Diorama. Des objets qui viennent d’Italie, d’Allemagne, des USA, de Russie, d’Ukraine… et d’autres pays. Un vrai tour du monde dans une pièce.
Mais ce qui me frappe le plus dans cette visite guidée que Carlos nous fait de sa boutique, c’est la passion avec laquelle il nous raconte les choses et le fait que pour chaque objet, pour chaque reproduction, Carlos est capable de nous raconter l’histoire de cet événement ou de cet objet que les a recréés. C’est comme assister à une leçon d’histoire, se promener dans ce monde en miniature.
Et il y en a pour tous les goûts, de la bataille de Waterloo au Reichstag.
Évidemment, parmi les objets ne manquent pas des miniatures d’arbres et de fleurs, et personnages également utilisés pour des projets d’architecture, et de petites reconstitutions, avec des mini personnages, de chaque instant de la vie humaine.
Carlos nous a vraiment emmenés dans une autre réalité, faite d’histoire mais aussi de beaucoup de fantaisie. Et ce qui nous frappe vraiment, c’est sa grande passion, la façon dont ses yeux pétillent lorsqu’il décrit son univers, pièce par pièce.
Son rendez-vous incontournable est évidemment la foire de Nuremberg, où chaque année Carlos participe également en tant qu’attaché de presse pour son magazine Hobby. En 55 ans, il n’est pas été présent que deux fois ; un rendez-vous fixe pour lui.
Mais Carlos a encore d’autres mondes cachés et talents à raconter. On découvre que les photos de son magazine sont les siennes. Et que derrière la passion qu’il nous a racontée se cache un passé de photographe.
Il y a des années, à Paris, il avait suivi des cours de photographie et de cinéma et avait fini par travailler pour Playboy. Il nous raconte que pour trouver de nouveaux modèles, il s’est rendu en ville au Café de la Paix, où les filles à la recherche d’un travail de mannequin étaient attentives à la présence d’un photographe. Et puis Carlos n’avait plus qu’à poser son appareil photo sur la table, et c’est tout. Ils lui ont demandé de faire des photos et il est donc devenu un découvreur de talents.
Et Paris ne sera pas sa seule destination. Invité pour un événement photographique au Brésil, il revient une deuxième fois pour un an et demi de travail de reportage en Amazonie.
Et si la photographie l’y avait amené, les reportages vidéo l’avaient vu comme le protagoniste de prestations également réalisées pour la RTP. Il nous en parle d’une liée à la guerre d’outre-mer qui avait fini par recueillir des images assez choquantes qui n’ont finalement pas pu être transmises. Et quelque temps plus tard, ces mêmes images, dans un concours en Espagne, lui avaient valu un prix journalistique important.
En bref. Carlos ne cesse de nous étonner, une vie qui mériterait un livre. Mais même face à tant d’aventures, il préfère retourner dans son petit monde, un peu comme une version masculine d’Alice, qui « rétrécit » pour retourner dans son pays des merveilles, qui pour Carlos est un monde fait de transports, de paysages et des personnages. , que vous pouvez souvent tenir dans la paume de votre main.
Pour raconter l’histoire suivante, des pages et des pages ne suffiraient pas, tant il y a tant de choses, d’expériences, de facettes de la personne que je m’apprête à présenter. Et même avec autant de mots, je ne serais probablement pas en mesure de transmettre pleinement l’énergie extraordinaire qu’il émane.
C’est Glow.
Dès que nous nous asseyons pour discuter, puisque j’adore les boucles d’oreilles, je ne peux m’empêcher de remarquer celles qu’elle porte, absolument originales. Et Glow m’explique qu’elle les a réalisés avec une imprimante 3D et avec une résine spéciale biodégradable à base de maïs et de canne à sucre. Elle m’a déjà conquis.
Elle me dit que lorsque je connaîtrai son histoire, je comprendrai aussi comment l’idée et cette forme d’art sont nées.
« Enfance »
Glow est né au Brésil, à São Paulo. Le meilleur souvenir de son enfance est la ferme de sa grand-mère, près d’une rivière, en pleine nature, sans aucun contact avec le monde moderne. Un souvenir qui a probablement fortement influencé sa sensibilité actuelle à l’environnement.
À 6 ans et jusqu’à 8 ans environ, elle commence à vivre seule avec sa mère, alors que son père quitte le Brésil pour travailler au Portugal et dans d’autres pays.
Ses parents avaient ouvert des commerces, des magasins qui vendent des magazines, des livres, mais aussi des petits produits alimentaires. Malheureusement, leur différentes tentatives commerciales se soldent toujours par des échecs.
Mais c’est précisément à travers les livres et les illustrations que Glow a son premier contact avec l’art qui l’impressionne immédiatement.
Son enfance se déroulera au Brésil, mais vers l’âge de onze ans, elle rejoint son père, qui entre-temps a une autre famille au Portugal et va vivre avec lui, sa nouvelle épouse et sa fille à Ribatejo.
Ce ne sera pas une coexistence facile.
Glow me dit quelque chose qui m’impressionne beaucoup, et au cours de notre entretien, elle le répète souvent. Ce qui m’impressionne le plus, en fait, c’est qu’elle le dit avec le sourire et la sérénité.
Elle me dit que ses parents sont des personnes « émotionnellement indépendantes », alors qu’elle était une personne « émotionnellement dépendante ». Elle recherchait toujours l’approbation de ses parents, la classique « claque dans le dos » face à ses choix, un “très bien » dit au bon moment, mais qui souvent ne venait pas.
“Découvrir soi-même”
Une période de découverte de soi commence également pour Glow. Elle commence à se questionner sur son identité de genre. Et elle commence aussi à exprimer ce moment de découverte à travers une nouvelle façon d’être et de se présenter. Mais elle doit se débrouiller avec un environnement très conservateur, surtout dans un petit village, où son propre père, en tant qu’étranger, avait été discriminé.
La réaction de Glow sera d’arrêter de s’exprimer comme elle le voudrait, d’essayer de se protéger.
Vers 15/16 ans, un nouveau challenge: elle décide de s’inscrire à la faculté de marketing digital et publicité. Elle commence à connaître l’environnement marketing et audiovisuel et commence à expérimenter de nouvelles formes d’expression à travers des images et des sons qui deviennent un nouveau refuge pour Glow et une nouvelle façon de s’exprimer.
Au cours de cette période, elle a également commencé à écrire de la poésie. Elle commence également à fréquenter le cercle des poètes de Santarém et l’un de ses poèmes sera également choisi pour figurer dans un livre.
C’est une façon pour Glow d’exprimer ses sentiments, ces sentiments qu’elle apprend trop tôt à cacher. Se définit comme un enfant solitaire. Mais elle ne dit pas cela avec amertume ou colère envers ses parents. Au contraire. Elle explique qu’au début il y avait de la colère, mais qu’aujourd’hui il y a une compréhension de ce que c’était, qu’elle a compris que chacun de nous est fait à sa manière et que ses parents sont indépendants et ne pouvaient pas donner à Glow l’approbation dont elle avait besoin . Puis, à un moment donné, elle s’est arrêtée et a compris qu’il fallait chercher en elle-même le soutien dont elle avait besoin.
« Indépendance »
Un grand changement se produit lorsque Glow a seize ans. Sur le chemin du retour avec son père et sa femme, elle entame une conversation avec les deux qui mène à une dispute. À ce stade, Glow demande d’arrêter la voiture et descend, au milieu de la route. Ils habitaient à 40 km de Santarém et le chemin du retour était encore assez long. Son père pensait la trouver à la maison, mais Glow ne rentrera jamais à la maison. Elle va se réfugier chez une amie où elle va vivre quelques temps.
C’est durant cette période que Glow commence à « s’interroger sur son Modus Operandi », surtout sur la façon dont elle voulait vraiment être vu par les autres, quelle était l’image d’elle-même qu’elle voulait vraiment donner.
A la fin du lycée, autre changement, cette fois dicté par le cœur. Amoureuse d’un garçon, elle le suit à Peniche où elle travaille dans un atelier. « Je ne referais plus jamais ça, me dit-il. Et elle ne parle pas de travailler dans un atelier, parce que le travail ne lui fait pas peur, mais de déménager dans une autre ville pour suivre quelqu’un, car il faut toujours faire des choix pour soi et pas pour les autres.
À ce stade, Glow se rend compte qu’il a besoin d’un environnement différent, d’une ville plus grande dans laquelle elle se sente libre de s’exprimer. Et c’est là qu’elle arrive à Lisbonne, il y a environ sept ans. Et c’est ici à Lisbonne que ça commence avec une serie d’expériences dont certaines sont assez déterminantes pour ses choix futurs.
“S’exprimer »
Au début, commence à travailler dans un bar d’une boîte de nuit où se déroulent des spectacles de Drag Queens. Une découverte. Glow commence à être fascinée par ce monde et décide que c’est peut-être la façon dont elle a besoin pour s’exprimer. Elle décide de commencer à faire de petits spectacles de rue. Un vrai changement pour Glow qui à l’époque portait encore des vêtements masculins. Mais pour ces performances, elle utilise le rôle d’une drag queen, une robe de scène, une perruque. Et chaque jour, habillée comme ça, elle se promène entre sa maison et l’endroit où elle fait son spectacle.
Et de ce chemin Glow se souvient bien, mais surtout, me dit-elle, elle se souvient de l’humiliation qu’elle a ressentie en le parcourant, chaque jour.
Cette phase de sa vie, Glow la voit comme un temps de réflexion. Le travail était extrêmement fatiguant, de 22h à 7h/8h pour gagner 25€, par nuit et non par heure. Mais Glow me dit que cela lui a donné une nouvelle perspective sur la vie. Cela lui a aussi permis d’avoir un premier contact avec la communauté LGBT (acronyme de Lesbian, Gay, Bisexual and Transgender, ndlr).
En suite sera le moment d’un travail dans un bar gay pour un public strictement masculin, où chaque soir il y avait un « thème spécial » à suivre. Glow tient à m’expliquer comment cela fonctionnait car les premières impressions peuvent être négatives. Et elle m’avoue qu’elle-même avait beaucoup de préjugés à ce sujet. Encore une fois, elle travaille au bar. Mais tous les soirs, elle assiste à la routine de ce lieu qui l’impressionne un peu au début, puis la fait réfléchir. En regardant le public entrant, elle comprend combien de personnes il y a qui ont besoin d’un endroit « secret » pour pouvoir s’exprimer librement, sans être jugés.
Glow commence à se questionner sur sa personnalité, commence à se poser beaucoup de questions, elle apprend à être fière de son corps et se rend compte qu’elle ne sait plus à quel point la Drag Queen était Glow vraiment et à quel point elle n’était qu’un personnage . Par conséquent, Glow laisse le rôle de Drag pour réfléchir sur la question.
Et elle part pour l’Espagne, où elle travaille à la réception d’un hôtel ouvert dans un ancien couvent.
En attendant, elle se lance également dans l’enregistrement de podcasts sur des sujets du quotidien souvent tabous.
Et surtout durant cette période, elle retrouve son père.
Pour Glow, c’est un tournant important. Elle m’explique que pendant toutes ces années c’était comme si elle ne pouvait plus continuer, précisément parce que cette partie de sa vie et sa relation avec son père été restée suspendues. Le voir, lui parler, pour Glow était une façon de fermer un cycle. Elle n’est plus en colère, elle les a acceptés. Ses parents ne peuvent tout simplement pas lui montrer leur affection comme elle le voudrait. Glow se souvient, par exemple, quand, choisie dans le cycle des poètes de Santarém, son père n’était pas venu dans la salle pour la soutenir, mais elle savait qu’il était heureux pour elle. Sa mère l’entend au téléphone de temps en temps, mais ne l’a pas vue depuis treize ans. Ils veulent qu’elle aille bien, et elle le sait.
« L’art »
Glow est au sommet de son expression artistique: elle enregistre des vidéos sur Instagram, commence à adopter un style féminin. Avec l’arrivée de la pandémie, elle commence à se sentir plus isolée. Jusqu’à découvrir un espace à Lisbonne pour les rencontres Voguing. (Dans les années 1920 à New York, la communauté LGBT a trouvé refuge dans les soi-disant Ballrooms. Bien au-delà d’une simple fête, c’était et est toujours un espace d’accueil, un lieu sûr où ces personnes qui vivaient quotidiennement en marge de la société pouvaient, au moins pour une nuit, se sentir bien dans sa peau. Le Voguing trouve ses origines dans les Ballrooms new-yorkais des années 1920, ayant été créés par les communautés latinos noires et queer de Harlem. C’est un style de danse inspiré des poses utilisées par les modèles des pages Vogue, et également influencé par les hiéroglyphes égyptiens anciens et les mouvements de gymnastique, ndlr). Et dans ces environnements lisboètes, Glow commence également à découvrir la danse, une nouvelle expression artistique.
Et voici la Glow que nous voyons maintenant, une grande femme, le résultat de toutes ces expériences.
Aujourd’hui, elle se consacre également aux questions environnementales et c’est de cette nouvelle dispute qu’est né le Glow Oficina, dans lequel elle se consacre à la création d’art durable.
Pour Glow, l’art doit être « sans déchets », un art totalement durable. Elle dit que pour réduire l’impact sur la planète, nous devons être les premiers à changer. Et Glow essaie de le faire à travers ses créations, en utilisant des vêtements donnés ou usagés, à travers de nouvelles habitudes alimentaires. Mais l’art de Glow a de nombreuses facettes.
Dans sa dernière maison à Alfama, Glow commence par des affiches sur divers sujets accrochées à son balcon. L’idée est de faire de sa maison une galerie d’art vivante. Et elle me montre l’oeuvre inspirée de l’oeuvre de Linn da Quebrada (artiste brésilienne) et sa première performance consacrée au mythe de Lillith (la première femme, avant Eve, née comme Adam et non élevée par sa côte, ndlr). À travers une exposition itinérante dans sa maison, comprenant des peintures, des vidéos et des images et des sons, Glow raconte cette histoire.
Mais il manque encore une pièce. Glow achète une imprimante 3D et commence à fabriquer des objets avec des matériaux recyclables. Et retourne à l’écriture de la poésie. Aujourd’hui, me dit-elle, elle a compris qu’aucune de ses formes d’expression, pour rester libre, ne peut être source de revenus.
Et maintenant?
« L’avenir »
Elle a tout vendu, acheté une caméra pour filmer sa vie et envoyé une candidature pour devenir volontaire en Italie. Au moment où vous lisez son histoire, Glow est à Catane, où elle se consacre à l’aide sociale aux plus nécessiteux.
Elle a beaucoup de projets, mais elle y pensera au jour le jour, peut-être une performance qui englobe tous ses arts.
Avant de partir, elle me dit qu’il ne sert à rien d’attendre que les autres changent, c’est nous qui changeons et c’est ce changement qui compte. Ce n’est qu’alors que nous avons un impact sur la société, bien plus que en se construisant un personnage sur les réseaux sociaux.
Aujourd’hui, Glow essaie de vivre de manière plus légère, sans trop en attendre, sans trop en demander à elle-même, en restant proactive et en continuant à raconter sa vérité.
Dans le quartier d’Alfama, sur la « costa do Castelo » ou plus bas, presque caché dans le petit passage qui descend les escaliers du largo das portas do sol, on est captivé par la voix émouvante de Ruca et son fado.
Originaire de Leiria, Ruca Fernandes découvre le fado vers l’âge de 20 ans par pur hasard. Lors d’un banquet de mariage, il assiste à un spectacle de fado, et c’est tout de suite l’amour.
À partir de ce moment, il commence à écouter les disques de fado de son père, à apprendre les paroles et à chanter. Les premières fois qu’il le fait en public ce sera lors de soirées Karaoké, lorsqu’il découvre que le fado fait partie des musiques disponibles et se met ainsi à chanter.
Il y a quinze ans, il découvre le fado vadio (fado de rue, celui traditionnellement chanté dans les tavernes), et décide de s’essayer. Il apprend le fado, « A moda das tranças pretas » et se présente un soir à la Tasca dos chicos et demande à chanter. Quelques minutes pour se mettre d’accord sur la tonalité avec les guitaristes et là sa voix s’élargit dans le restaurant.
Ruca commence à chanter le fado plus fréquemment et commence à avoir des contacts avec d’autres fadistes et c’est ainsi qu’en 2007 il se produit dans la « Grande noite de Lisboa », un spectacle spécial dédié au fado. Il participe également à deux concours de chant, « Concurso de fado de Odemira » et de « Costa da Caparica » et les remporte tous les deux.
Ruca commence également à participer à des visites guidées dédiées au fado, où l’émotion de sa voix rejoint l’histoire des guides.
Je me souviens de la première fois que je l’ai entendu chanter : c’était dans un restaurant de fado, où Ruca chantait en s’accompagnant à la guitare comme il le fait encore aujourd’hui. Je me souviens de l’émotion de cette voix et de la façon dont son habileté avait affecté les touristes que j’accompagnais ce soir-là. Lorsque je l’ai rencontré à nouveau et que j’ai appris à mieux le connaître, j’ai découvert que derrière son métier d’artiste se cache une personne extrêmement timide.
Et puis je lui demande comment il fait, comment il parvient à dominer sa timidité et à chanter devant autant de monde. Et Ruca m’avoue que le fado est presque une thérapie.
Au moment où il prend sa guitare et commence à chanter, il entre dans une autre dimension, se transporte dans un autre plan, où il n’y a pas de timidité, où personne ne le regarde, où seuls lui et sa musique existent. Et ce n’est pas un hasard, m’explique-t-il, si les types de fado qu’il aime le plus chanter sont les plus mélancoliques et tristes. Après tout, il parvient ainsi à exprimer ce qu’il ressent, en canalisant son âme dans cette musique. Parce que chanter du fado, c’est s’exposer à l’émotion, la sienne et celle qui t’écoutent, sans filtres. Après tout, dans le fado, avant même la technique, l’âme est importante, et la capacité à transmettre son émotion.
Quand j’explique le fado à quelqu’un qui ne l’a jamais entendu, je dis toujours que comprendre les paroles n’est pas important, ni le fait que le chanteur ait une technique vocale parfaite. Ce qui compte vraiment, c’est que celui qui chante puisse le faire sans barrières, sans filtres, afin que l’auditeur puisse entendre son âme.
Ruca convient que le fado est une musique universelle, que tout le monde peut comprendre sans en saisir les mots et leur sens, car c’est de l’émotion pure.
Et personnellement, je connais bien ce sentiment car j’ai moi-même été émue de nombreuses fois, souvent jusqu’aux larmes, en écoutant du fado, même au début sans parler portugais. Et avec Ruca, cela m’est arrivé plus d’une fois. Parce que quand il chante, il a l’impression de le faire avec son cœur. Pour lui, la musique est tout.
Quand je lui demande ce que ça fait quand il arrive à émouvoir les gens comme ça, il me dit qu’il a le sentiment d’avoir fait du bon travail, car cela signifie que sa musique a touché le cœur des gens, jusqu’à leur partie la plus intime.
Pendant que nous parlons, il s’arrête de temps en temps, attrape sa guitare et se met à chanter. Comme si son âme était « possédée » par le fado et qu’il ne pouvait s’empêcher de la chanter. Notre conversation est agréablement interrompue plusieurs fois par ces moments où, pour mieux se raconter, Ruca doit le faire en musique.
Et puis il se met à jouer, il ferme les yeux, et sa voix se met à résonner dans les rues d’Alfama, chantant un fado, « Com que voz », poème du grand poète Luis Vaz de Camões, chanté par la célèbre Amalia Rodrigues.
Et les gens s’arrêtent, les uns après les autres, fascinés par cette musique et surtout par la voix de Ruca.
Cela fait quelques jours que Ruca a commencé à chanter dans la rue. Il y a moins de travail dans les maisons de fado pendant cette période. Mais Ruca le fait avant tout pour être en contact avec les gens, après tout, le fado c’est aussi ça, transmettre l’émotion en chantant parmi les gens, dans une atmosphère absolument intime.
Ruca m’avoue que son plus grand rêve serait d’être invité à chanter du fado à l’étranger, d’être un ambassadeur de cette musique. Et nous le lui souhaitons. Après tout, bien des choses ont changé depuis ses débuts : désormais, on entend souvent sa voix sur Radio Amalia (radio dédiée au fado, n.d.r.) et a déjà sorti deux disques, en 2008 et 2018.
Mais il y a toujours de nouveaux défis qui l’attendent. Ruca me dit que chaque jour pour lui est un défi personnel, avec lui-même, pour s’améliorer, pour pouvoir atteindre de plus en plus de technique, chanter du fado de plus en plus compliqué, transmettre de plus en plus d’émotion.
Ruca me dit qu’à ses débuts, il est allé dans une maison de fado pour demander des informations sur l’endroit où l’étudier et le portier de cette maison lui a demandé en quoi il pouvait l’aider. Ruca lui avait dit qu’il cherchait une école pour apprendre le fado. Et puis ce monsieur lui avait dit que « le fado ne s’apprend pas, on nait Fadista ».
Certes, comme le dit Ruca, il faut savoir se perfectionner et soigner sa technique aussi, mais je suis d’accord avec ce monsieur « On nait Fadista ».
Il y a une émotion à chanter du fado que l’on a ou que l’on n’a pas. Et tu ne peux pas apprendre ça. Et Ruca l’a.
Il suffit de regarder l’atmosphère qui s’est créée autour de nous entre-temps. Le soleil s’est couché, il fait nuit dans les ruelles d’Alfama.
Dans le petit passage entre deux rues où nous nous sommes arrêtés pour parler à Ruca, une lumière tamisée s’allume. Ruca chante « Gente da minha terra », l’un de mes fado préférés. Dans les escaliers menant à Alfama, les gens commencent à s’arrêter. Une petite foule s’est formée, mais tout est silencieux. Personne n’ose interrompre la magie que Ruca a réussi à créer. Comme si à ce moment tout le monde retenait son souffle, frappé par cette émotion que transmet la voix de Ruca. Continue à chanter, les yeux fermés. Il ne sait pas combien de personnes se sont arrêtées, il ne les voit pas. A ce moment-là, il n’y a de place pour rien ni pour personne : il n’y a que lui et sa voix, sa musique, son fado.
C’est un jour de pluie à Lisbonne aujourd’hui, un peu gris, d’automne. Mais notre journée, la mienne et celle d’Alex, est sur le point d’être égayée par une heureuse rencontre.
Christian, vieille connaissance d’Alex, vient à notre rencontre avec son chien Chopin. Et oui, Chopin, comme le célèbre compositeur. D’ailleurs, un mélomane comme lui, n’aurait pas pu choisir un meilleur nom.
Christian, né Christian Lújan, est en fait un baryton avec une très belle voix. Mais c’est aussi un artiste aux multiples facettes. Prêt à les découvrir ensemble ?
Christian, colombien d’origine, arrive à Lisbonne par hasard.
C’est arrivé il y a 15 ans, quand à l’âge de 21 ans, il suit sa mère, qui, après le divorce, décide de venir à Lisbonne. Leur arrivée ne sera pas des plus faciles car, comme nous le dit Christian, ils arrivent sans visa et passeront 6 jours à l’aéroport de Lisbonne en attendant de savoir s’ils peuvent entrer dans le pays ou non.
Quatre mois plus tard Christian entre au Conservatoire National Supérieur où il commence à étudier chant lyrique. Il commence également à fréquenter la Faculté de musicologie de la FSCH, mais sans terminer le cursus.
La musique était désormais sa voie et Christian ne cessera jamais de la suivre.
« Mais comment ça a commencé ? », je lui demande. Encore par hasard.
Christian est originaire de Medellín, dans le centre de la Colombie, pas exactement un pays où la culture de l’opéra peut être considérée comme particulièrement enracinée. Il grandit avec deux éducations différentes : sa mère est adventiste (église chrétienne adventiste du septième jour, ndlr), mais Christian fréquente l’école salésienne de sa ville, est végétarien à la maison, mange de la viande à l’école, à la maison le samedi est respecté comme jour de repos, mais en même temps commence à faire partie du chœur salésien.
En même temps, il commence aussi à jouer. Il était coutume d’initier les enfants à la musique avec de petits cours et Christian découvre la contrebasse qui sera son premier instrument.
Et c’est ainsi que commence son lien avec la musique: entre sa contrebasse et les psaumes chantés avec le chœur pendant la messe. Jusqu’au jour où quelqu’un l’entend chanter. Antonio, professeur à la faculté de médecine, mais passionné de musique et directeur de choeur. Il entend quelque chose de différent, de spécial dans la voix de Christian et lui suggère de commencer à traiter son don. C’est ainsi qu’il commence ses études à l’Institut des Beaux-Arts de Medellín et s’ouvre au monde de l’opéra.
Lorsque sa mère décide de partir pour Lisbonne, c’est pour Christian l’occasion d’arriver en Europe, sur le continent où l’opéra et la culture du chant lyrique sont enracinés depuis des siècles.
Et c’est ainsi que tout a commencé, et c’est à Lisbonne et son conservatoire qu’il s’est consacré à ce nouveau monde.
Christian se souvient encore de sa première œuvre et de son premier rôle, celui de Pinnellino, le cordonnier du Gianni Schicchi de Giacomo Puccini, au San Carlo de Lisbonne. Il avait 23 ans. Je lui demande à quel point il était excité. Christian répond : « Excité ? Non. Terrifié ». C’est son souvenir des deux premières représentations. Mais au fond, me dit-il, c’est toujours comme ça. Les premières représentations sont celles du tremblement, de l’angoisse, puis vous entrez en scène, un soir après l’autre, et peu à peu vous commencez à apprécier le spectacle et l’excitation de la musique et de l’opéra.
Lisbonne ne sera pas sa seule destination. Il s’installera en Belgique pour trois ans et demi où il se perfectionnera à l’Opéra de Flandre Studio.
Et c’est en Belgique que viendra le grand changement dans sa vie amoureuse. Il reviendra rencontrer une collègue, Mariana, de Lisbonne, chanteuse d’opéra elle aussi, dont elle avait déjà croisé le chemin mais sans que l’étincelle ne soit allumée. Deux caractères différents à l’époque, elle animée, lui dans une phase qu’il définit comme « bohémienne », ne s’étaient pas rencontrés. Mais le destin lui a donné une nouvelle chance, en Belgique, où ils ont fini par partager un appartement et sont tombés amoureux. Leur histoire d’amour dure depuis maintenant dix ans et a été couronnée il y a quelques mois par la naissance de la très tendre Camila.
Christian a joué tellement de rôles, mais quand je lui demande quels sont ceux avec lesquels il s’est le plus identifié ou aimé le plus, il n’a aucun doute : Scarpia (le « méchant » de Tosca) ou Marcello (le peintre de La Bohème), et les rôles tragiques de l’opéra romantique, notamment celui de Giacomo Puccini.
Aujourd’hui Christian vit de la musique, mais il ne peut s’empêcher de se souvenir de l’époque où il se consacrait à de nombreux métiers différents et entre-temps, il passait d’une audition à l’autre. Une situation fatigante au début, mais qui n’a jamais fait baisser les bras à Christian, qui aujourd’hui a su faire connaître son nom et sa voix si particulière dans le monde de l’opéra et peut enfin vivre de ce dont il a toujours rêvé.
Mais la gamme de nuances artistiques de Christian ne s’arrête pas à la musique et au chant d’opéra, et alors qu’il nous dit qu’il a commencé à étudier pour apprendre les techniques de massage chinois, il parle également d’un projet de photographie. Il tient à dire qu’il n’est pas un professionnel, mais ses photos vous laissent vraiment bouche-bée. (Recherchez sur Instagram @quotidianoss et jugez par vous-même).
Le projet est extrêmement intéressant : passer une matinée avec un inconnu et le photographier dans sa vie de tous les jours, au naturel, nu. Ce ne sont pas des modèles mais des gens ordinaires.
Christian a toujours été passionné par la photographie, même enfant, et raconte quand à l’âge de 15 ans son appareil photo a été volé avec le film encore à l’intérieur et quelques photographies dont deux premières photos de nu. Depuis lors, ce projet a été suspendu jusqu’à aujourd’hui. Christian nous raconte qu’il a dû lutter contre une série de préjugés et qu’il lui a fallu du temps pour avouer, même à sa propre famille, que le nu était le sujet qu’il avait choisi pour ses photographies. Un projet qui dure maintenant depuis environ 5 ans et qui nous donne des images d’un quotidien naturel, sans filtres, sans constructions.
Un monde à découvrir, bref, celui de Christian.
En attendant, la pluie nous a laissé un moment de répit et Chopin n’arrête pas de sauter sur les jambes de Christian: c’est l’heure de la promenade.
Et puis nous les accompagnons et en profitons pour discuter davantage de la vie, des nombreux changements vécus, des projets d’avenir et, surtout, de la nouvelle et merveilleuse aventure de sa récente paternité.
Ça y est, il est temps de les saluer, mais d’abord j’ai encore une curiosité : « Et la contrebasse ? »
C’est accrochée au mur d’une ferme en Colombie. Peut-être, on sait jamais, un jour Christian ira le récupérer, peut-être restera là comme un signe de l’endroit où tout a commencé.
Avant de nous dire au revoir, Christian nous dit que dans son avenir il y a encore des voyages, encore des lieux à découvrir et dans lesquels s’éprouver. Après tout, l’art est une évolution continue. Mais en attendant on peut encore profiter de sa voix dans les théâtres lisboètes, une expérience à ne pas manquer, celle de se laisser emporter par l’atmosphère magique de l’opéra et la voix mélodieuse de notre Christian.
Quand je suis arrivé à Lisbonne, l’un des premiers endroits que j’ai visités était un magasin historique sur la place Rossio. C’est la boutique Madeira shop.
Je me souviens que ce qui m’a le plus touché en entrant dans cette boutique, c’était un couple âgée qui m’a accueilli avec une extrême gentillesse. Ils étaient propriétaires de ce lieu qui, depuis des générations, appartient à la famille Abreu.
Et donc pour vous raconter notre prochaine histoire, nous avons décidé d’y aller.
D’un côté de la place Rossio, à droite de Pedro IV, qui domine la place du haut d’une colonne, parmi les boutiques modernes et les marques internationales, se dresse la boutique Madeira, ouverte en 1959.
Et à nous accueillir cette fois, c’est Ana, la fille de ce couple qui m’a accueilli il y a des années lors de ma première visite.
Ana commence à nous parler de la naissance de ce lieu, mais surtout de sa famille car, nous le découvrirons bientôt, les deux histoires sont intimement liées.
Ana commence à raconter et on découvre que tout commence avec son grand-père, Antonio Abreu, originaire de l’île de Madère qui déménage sur le « continent » avec cinq de ses sept enfants (deux sont naît en Estoril). Ana nous raconte qu’elle n’a jamais rencontré son grand-père, car elle est née alors que ses parents avaient déjà 41 et 39 ans, et son grand-père avait déjà disparu à l’époque. Mais le souvenir de cette époque et comment tout a commencé, Ana l’a hérité de ses parents et aujourd’hui elle nous aide à reconstruire leur histoire.
Lorsque sa famille déménage sur le « continent », arrive à Estoril. Probablement pour rester près de la mer. Après tout, quand on grandit sur une île, entourée par la mer, il est impossible d’en rester trop loin.
Le grand changement est venu en 1916 avec un personnage qui a été responsable d’un changement important dans le tourisme portugais : Fausto Figuereido, qui, en plus de lancer la construction du casino d’Estoril, a également donné naissance à la ligne de chemin de fer qui, au fil du temps, allait relier Estoril à Lisbonne. La conséquence de ce changement important sera une augmentation touristique importante qui amènera de nouveaux clients internationaux à la boutique ouverte dans cette zone côtière.
La famille Abreu commence à ouvrir d’autres magasins, à Estoril, Lisbonne, à Sintra et enfin encore deux à Lisbonne, dont le dernier c’est le Madeira shop.
C’est ce dernière qui sera gérée par les parents d’Ana. Une activité commerciale mais surtout un héritage familial. En commençant par son grand-père, puis le père d’Ana et maintenant avec elle et son mari João.
Ana nous raconte que leur entreprise a dû traverser diverses crises, à commencer par celle qui a suivi la révolution des œillets de 1974 qui a mis fin à la dictature, en passant par la crise boursière aux États-Unis, la crise économique de 2008 et, enfin, la pandémie de la dernière période. Beaucoup d’épreuves et de moments de crise à surmonter, mais à chaque fois ils ont réussi à résister, surtout par fierté, afin de ne pas perdre cette tradition si importante pour leur famille.
Ana nous dit clairement que la principale raison pour laquelle ils poursuivent la tradition de leur boutique n’est pas le gain financier, mais surtout le désir de ne pas interrompre une tradition familiale qui dure depuis de nombreuses années.
Plusieurs produits que l’on peut trouver dans la boutique et de différentes régions du Portugal, mais surtout un excellent produit qui donne aussi son nom à la boutique : la broderie de Madère.
L’origine de la broderie de Madère (Bordado) remonte à l’antiquité et au besoin de décorer les espaces. L’art de la broderie a longtemps été une activité à laquelle étaient destinées les femmes des classes aisées ainsi que les religieuses et le grand élan est venu dans les années 1950.
Cette tradition artisanale a participé aussi à la Grande Exposition de l’Industrie de toutes les Nations à Londres en 1851, avec un énorme succès.
C’est une broderie sur lin, qui, par sa délicatesse et sa tradition, a toujours été un produit de luxe que l’on trouvait dans les foyers aristocratiques. Et aujourd’hui, elle est considérée comme la meilleure broderie au monde.
La famille d’Ana s’est toujours consacrée aux « bordados da Madeira », d’abord dans la vente puis, même dans la production a Madeira, plus aujourd’hui car suivre la production à distance devenait compliqué.
Aujourd’hui, ce sont encore des produits chers et des objets de grande valeur, qui ont principalement comme acheteurs des touristes, qui ont toujours fait partie de leurs clients réguliers, depuis l’époque de la première boutique d’Estoril. Mais Ana dit que de nombreuses familles portugaises achètent également du linge brodé pour enrichir le patrimoine familial ou, par exemple, une nappe à utiliser pour des occasions spéciales. Ce sont des objets qui se transmettent ensuite de mère en fille et qui restent souvent dans la famille pendant plusieurs générations, finissant par devenir les gardiens de souvenirs et d’histoires, de moments privilégiés à retenir, de fêtes de famille à ne pas oublier.
Et à une époque où l’on parle tant de durabilité, les produits artisanaux de cette qualité sont certainement un support important.
Et le souvenir transmis par les objets achetés signifie qu’Ana et sa famille finissent par en faire partie aussi.
Ana nous montre un carnet où les clients réguliers, étrangers et portugais, clients qui sont revenus plusieurs fois au magasin, laissent un souvenir, une histoire, un merci pour quelque chose qui, acheté dans la boutique de Madère, fait ensuite partie de l’histoire de famille. Ana nous raconte qu’elle a reçu des appels et des messages pendant cette période de pandémie de la part de clients qui s’inquiètent pour elle et ses parents, de sincères expressions d’affection.
Ana a commencé à travailler avec sa famille en 2003, mais depuis 2008, elle travaille plus activement dans le magasin familial et avec l’aide active de son mari João.
Les parents d’Ana, Joaquim e Maria Antonia, ont maintenant 86 et 84 ans, mais ce n’est pas l’âge qui les a éloignés du travail, c’était la pandémie. Mais Ana nous dit que de temps en temps, ils ne peuvent pas résister et retournent au magasin, et quand ils ne le peuvent pas, ils exigent un compte rendu complet de tout ce qui s’est passé pendant la journée de travail d’Ana à la fin de la journée.
Jusqu’en 2019, leur présence dans la boutique ne manquait jamais, tandis qu’Ana et João le soutenaient dans la boutique et, en même temps, s’occupaient de parcourir le pays à la recherche d’artisanat unique.
Un coup d’œil à la boutique nous fait tout de suite comprendre qu’il ne s’agit pas d’une boutique banale ni même d’objets ordinaires. Ana connaît l’histoire de chaque objet, l’écouter est comme un voyage à travers l’histoire des traditions portugaises, elle sait comment nous montrer chaque école ou artiste différent derrière chaque objet. Parce qu’elle les a choisis un à un, elle a rencontré les artisans, les a vus travailler.
Et les objets les plus fragiles, Ana et João les portaient personnellement.
Car ce travail est aussi un moyen de préserver et de transmettre la tradition familiale et l’amour que ses parents ont toujours eu pour ce travail.
Ana nous guide parmi les objets en céramique de Coimbra inspirés d’œuvres des XVe et XVIIIe siècles, le classique Coq de Barcelos en terre cuite peint à la main, symbole de foi et de justice et bonne chance et aujourd’hui aussi l’un des symboles du pays, les « Figurados » représentés par des artistes plus modernes et raffinés et d’autres plus anciens qui transmettent encore un art ancien des représentations sacrées et de la vie quotidienne sur le terrain. La tradition romantique des mouchoirs des amoureux, que dans les temps anciens les femmes brodaient à la main pour l’homme aimé et que l’homme devait utiliser le dimanche à la messe pour montrer qu’il partageait les sentiments de la femme en question.
Et ne manquent pas les azulejos traditionnels, les meubles peints de l’Alentejo, et bien d’autres objets, des œuvres d’art extraordinaires.
Aux broderies de Madère s’ajoutent celles de Viana do Castelo, tout aussi belles mais moins chères, pour permettre de atteindre également d’autres clients.
Et les vêtements traditionnels de Madère et de Viana ne manquent pas, qui sont souvent achetés par les touristes mais aussi par les émigrés portugais pour emporter avec eux un morceau de leur pays. Pour les enfants, elles sont aussi achetées comme robes de carnaval, tandis que les familles du Nord les utilisent encore dans les fêtes traditionnelles, comme celle dédiée à Notre-Dame des Douleurs (20 août, ndlr) ou pour certains événements particuliers.
Bref, un endroit où sur chaque étagère, il y a un nouveau monde à découvrir.
La boutique d’Ana, reconnue par la ville de Lisbonne comme une « loja com historia », une boutique historique, est en réalité peu protégée par la ville elle-même.
Les temps changent, la ville de Lisbonne évolue, se modernise, et au fil des années, les marques internationales ont de plus en plus remplacé les anciennes petites boutiques locales.
Mais au fond ce sont ces boutiques qui contribuent à faire de Lisbonne une ville spéciale différente des autres.
Avec l’augmentation du tourisme qui, nous dit Ana, est évidemment la bienvenue, il serait souhaitable de pouvoir protéger en quelque sorte ces anciennes boutiques de la ville pour s’assurer qu’elles ne disparaissent pas.
Après tout, ce n’est plus seulement un lieu commercial, mais un espace qui essaie au jour le jour de conserver la mémoire d’un passé qu’il est parfois difficile de reconnaître, la mémoire d’un lieu et, en l’occurrence, d’une famille vraiment spécial.
Dans le quartier Anjos de Lisbonne, en remontant la rua Triangulo Vermelho, vous tombez sur une galerie d’art, ou plutôt une plate-forme d’art, dédiée à la promotion des artistes visuels, mais qui, avant tout, a pour mission d’être un lieu de rencontre et d’échange culturel et artistique, bien sûr.
Nous sommes accueillis par les deux créateurs de ce lieu et de ce projet, ainsi que l’âme de ce lieu : Vital Lordelo Neto et Julia da Costa.
Dès l’entrée, l’amour pour l’art est palpable, non seulement pour les œuvres de différents artistes sur les murs ou dans les catalogues, mais surtout pour l’atmosphère que Vital et Julia ont su créer, véhiculant leur grande passion pour l’art et leur vie d’artistes, dans ce projet, né concrètement en 2019 : Joia, « orivesaria dos sentimentos » (joaillerie de sentiments)
Le nom dérive de leur premier espace, dans la Baixa de Lisbonne, qu’ils avaient installé dans une ancienne bijouterie et d’où l’idée du nom Joia (bijou). Mais comme le titre de leur projet l’indique, les bijoux qui sont vendus ici sont très spéciaux: ce sont les émotions que l’artiste transmet à travers ses œuvres.
Mais faisons connaissance de plus près avec Vital et Julia.
Vital est brésilien, originaire de Brasilia. C’est vers le 20 ans, lorsqu’il s’installe dans le sud du pays, à Portalegre, lieu de grande colonisation et de nombreuses influences culturelles, que débute sa carrière d’artiste. Pendant un certain période commence aussi une formation en publicité et journalisme, et il arrive à Lisbonne en 2016 déjà avec un important parcours d’artiste. Quand il arrive à Lisbonne, Vital travaillait sur un projet vraiment intéressant sur les sentiments et les émotions, véhiculés par l’art de l’illustration, sur des affiches. Le support n’est pas accidentel : le désir d’utiliser un moyen qui est normalement exposé dans la rue souligne son désir de communiquer avec les gens et de mettre l’art à la portée de tous. Et vouloir parler d’émotions et de sentiments, c’est parce qu’il est de plus en plus difficile de pouvoir exprimer ce que l’on ressent et encore moins de le communiquer aux autres. Vital nous dit que la pandémie a certainement rendu tout cela encore plus compliqué et que le besoin de communiquer avec les autres est très pertinent et que la rue est certainement le lieu meilleur pour laisser ce message.
Au moment où Vital est arrivé à Lisbonne, il avait déjà réalisé 18 affiches sur les 30 qui comptent aujourd’hui le projet qui dure depuis neuf ans. Et cela a encore beaucoup à racconter.
En 2019, son expérience d’artiste et son contact avec la ville de Lisbonne, que Vital définit comme un excellent lieu de rencontre et d’échange entre les cultures, l’ont amené à l’idée de créer Joia. Connaissant les difficultés d’un artiste qui arrive dans un nouveau lieu ou qui décide d’entreprendre son parcours artistique, l’idée est de créer un environnement qui se détache d’une galerie d’art habituelle et qui se veut plutôt une référence concrète sur le territoire, dans lequel exposer, mais aussi dans lequel s’orienter.
En 2020 Julia arrive également à Joia. Française de Vichy, elle arrive au Portugal pour apprendre la langue en 2016. Son parcours l’a menée sur deux pistes parallèles, l’art et la psychologie, qui se confondent aujourd’hui dans ses œuvres. Julia, arrivée à Lisbonne, se consacre à un projet de dessin, esquisses de la ville, qui entre les pages d’un cahier prend vie dans une union de mots et d’images qui donne lieu à un travail avec lequel elle participe à l’importante événement « Rendez-vous du carnet de voyage ». Elle recommencera avec un autre travail l’année suivante après une expérience à New York.
Mais ses études de psychologie se font sentir et Julia commence à créer des œuvres centrées sur l’analyse des émotions.
Et c’est en 2019 que les chemins de Julia et Vital se croisent. En tant qu’artistes d’abord, puis en tant que compagnons de vie.
Le projet de Joia a beaucoup grandi ces dernières années : 50 artistes et 8 pays différents sont représentés ici. Mais la grande innovation de ce projet est son idée de base qui le différencie d’une galerie d’art normale. Joia est un espace pour grandir, comme Vital lui-même me le dit.
Lorsque le projet a commencé, il n’y avait aucune idée de le transporter sur un niveau virtuel, mais aussi en raison de la pandémie, les choses ont changé et, avec l’aide de Julia, aujourd’hui Joia est un lieu physique, mais aussi un espace virtuel, en plus de compter aussi avec un studio de tatouage, une agence d’illustration et un magazine en ligne, Frestas (fentes) né pendant la pandémie, pour s’assurer que de ces fissures par lesquelles nous avons dû observer le monde pendant des mois, nous pouvons aujourd’hui regarder l’art et les œuvres des artistes qui sont représentés.
Les artistes du projet de Joia sont tous des artistes locaux, d’origines différentes mais tous liés à la ville lusitaine dans laquelle ils vivent. Joia s’occupe d’exposer leurs œuvres mais surtout s’occupe d’eux : les guider, les conseiller.
Mais le message de Joia est un message qui va encore plus loin. L’art d’abord, comme un choix de vie, comme un message pour tout le monde.
Ce qui aujourd’hui est aussi un travail pour Vital et Julia, finit en réalité par être une véritable mission. Leur priorité est l’art et vivre de l’art. Et quiconque rejoint ce projet en tant qu’artiste doit ressentir la même chose. Il n’y a pas de place pour ceux qui ne voient l’art que comme un passe-temps ou comme un moyen de gagner de l’argent. Tout d’abord, l’art doit être au centre de la vie d’un artiste, c’est l’artiste lui-même qui doit croire que l’on peut vivre d’art et qu’il faut se consacrer à l’art. Seuls ceux qui partagent cette pensée et ce mode de vie peuvent pleinement apprécier ce projet et en faire partie.
Vital et Julia le vivent comme une véritable mission et se consacrent à ça corps et âme. Et pas seulement à la plate-forme qu’ils ont créée et à l’orientation des artistes qui en font partie, mais aussi à la diffusion de l’art elle-même.
L’idée de créer cet espace physique est aussi de permettre à chacun de profiter de l’art qu’ils proposent. Ceux qui entrent dans cet espace peuvent entrer pour acheter, bien sûr, et c’est toujours un bon investissement car comme nous le disent Vital et Julia « une œuvre d’art sur nos murs est comme une nouvelle fenêtre » qui nous permet de regarder un autre monde . Mais d’autres viennent juste pour regarder, et ce n’est pas grave, car ils auront de toute façon apprécié l’art, même pour un bref instant.
Diffuser l’art, toucher le plus grand nombre de gens, car pour Vital et Julia l’art n’est pas l’avantage de quelques-uns, mais une émotion à la portée de tous.
Le choix du type d’art exposé va aussi dans ce sens : l’illustration a longtemps été considérée comme un art mineur, et ce projet veut lui donner l’importance qu’elle mérite. Différents types d’art exposés, différents types de « supports » : de l’affiche à la carte postale. Car ainsi chacun peut trouver un travail qui correspond à ses goûts et aussi à ses possibilités. Julia et Vital s’engagent à ce que l’art ne soit pas considéré comme un produit d’élite, mais que tous ceux qui le souhaitent, puissent avoir leur œuvre d’art chez eux.
Même le choix des montures participe à cette idée : simple, presque indispensable. Parce que le cadre n’est pas la partie importante. Comme le dit Vital « le support est simple, l’art est noble ».
Le message que lance Joia est précisément celui de donner à l’art toute l’importance qui lui revient et aussi de faire comprendre que l’art est un travail, pas un fantasie ou un passe-temps. Ceux qui font de l’art leur vie investissent du travail, des émotions, des pensées, du temps et souvent un artiste n’est pas considéré au même niveau d’autres métiers. Souvent, l’artiste lui-même finit par ne pas se considérer sur le même niveau des autres professions. Et Vital et Julia avec leur projet tentent de faire ça aussi : aider à faire connaître leur travail et faire comprendre au monde ce qui se cache derrière un objet d’art.
Et Vital et Julia donnent également une grande importance à la documentation qui se cache derrière, pour qu’un artiste soit considéré et reconnu.
Un travail à temps plein qui dépasse largement les heures d’ouverture de la galerie/plateforme d’art.
Mais Vital et Julia ne se consacrent pas seulement à la conservation du travail des autres, et ils poursuivent en même temps leur parcours personnel en tant qu’artistes. Vital avec un projet appelé « Vitalis », dans lequel il travaille sur un cœur réalisé avec divers modules modifiables en couleurs et en positions, sur lesquels il ajoute ensuite des dessins. Les détails. Pour un travail toujours nouveau et original. Julia, quant à elle, se consacre à un projet qui combine ses deux voies, l’art et la psychologie, et après une première bande dessinée consacrée à l’addiction à l’alcool, met aujourd’hui en lumière la dignité de la maladie mentale.
Que dire: on ne peut qu’être fasciné par ce lieu, par ce projet, par Julia et Vital qui ont fait de leur passion un métier et de leur travail une mission.
Probablement avant de commencer à donner la juste importance à l’art et aux artistes pour leur travail, nous devrions continuer à attendre, mais Joia est certainement un lieu où ceux qui veulent faire l’expérience de l’art trouvent une référence, un lieu de croissance, d’inspiration. Et pour ceux qui ne sont que passionnés d’art, ils trouveront rarement meilleur endroit pour respirer profondément le feu sacré de cette passion.
Joia, la joaillerie des émotions: et les émotions ne manqueront pas si vous acceptez de vous laisser accompagner par Julia et Vital dans ce tourbillon coloré fait de dessins, de couleurs, de mots et de beaucoup de cœur.
Dans une société où l’on parle de plus en plus d’agriculture biologique, de respect de notre planète, de durabilité, nous souhaitons aujourd’hui vous parler d’un projet qui a fait de ces enjeux une véritable mission. C’est le projet d’André Maciel.
Originaire de Setubal, André a toujours fait preuve d’une grande sensibilité envers la nature. Après des études de « Design do equipamento » (Conception d’équipements) à Setubal, il commence à se consacrer à la réalisation de projets avec des matériaux recyclés.
Dans ce projet et dans sa passion, sa famille sera toujours présente, notamment son frère et son meilleur ami qui le soutiendront tout de suite dans cette aventure.
Et c’est ainsi qu’est né son premier projet Purisimpl en 2013.
André croit fermement qu’il est possible d’être autonome, de créer un petit écosystème et de produire notre propre nourriture.
Derrière l’idée de ce projet il y a une histoire personnelle très forte, le nom lui-même la cache. Purisimpl: puri da purifição, qui ne signifie pas seulement purification, mais qui était aussi le nom de la mère d’André décédé prématurément des suites d’une tumeur alors qu’André n’avait que 13 ans. Il se souvient qu’au cours de la dernière période il y avait eu une amélioration suite au fait que sa mère avait commencé à suivre une alimentation biologique et saine. Pour André, cela avait été un signe; il commence à réfléchir à la façon dont cette maladie et d’autres sont étroitement liées à la nutrition.
Les produits bio existent depuis longtemps mais sont souvent trop chers pour la majorité de la population. L’idée d’André est donc « Pourquoi ne pas s’assurer que nous produisons nous-mêmes les aliments dont nous avons besoin ? »
C’est précisément pour suivre sa passion qu’en 2015 André part pour Coimbra où il étudie l’Agriculture Biologique et, après une période de pause pendant laquelle il se consacre à d’autres choses, il reprend son projet.
L’idée de base est de pouvoir créer des aliments bio pour tous et à la portée de tous, en comptant sur la participation de chacun à la production de nos aliments, en utilisant l’énergie de la terre, en créant un véritable petit écosystème au sein de la ville. Ce qu’on appelle la permaculture.
Aujourd’hui, on parle beaucoup de sauver notre planète, de la respecter et de chercher des moyens d’en prendre soin. André a commencé très jeune à poursuivre cette idée, au début même pris peu au sérieux par ceux qui le considéraient comme un jeune garçon qui courait après une utopie.
Bien qu’aujourd’hui ce soit son métier, pour André c’était et c’est une véritable mission d’« éduquer » les gens à un tout autre type de vie et de rapport avec la terre.
André se définit en quelque sorte comme un militant, et ce projet qui est le sien est un véritable mouvement auquel il croit fermement.
Pour que cela fonctionne, pour que ce nouveau mode de vie touche le plus grand nombre, il faut d’abord que tout soit simple (d’où la deuxième partie du nom Purisimpl) presque un retour à la simplicité initiale. Il faut revenir à la compréhension des choses simples, mettre les mains dans la terre, revenir à ressentir ce lien avec la terre elle-même.
Trois piliers sont ceux sur lesquels repose ce projet : Croire, Agir, Evoluer.
Et la vie d’André et la croissance de son projet reposent précisément sur cela. Y croire pleinement, même quand personne n’y croyait, même quand son idée semblait être une utopie, une vague illusion; Agir en mettant concrètement en pratique ce en quoi il croit et en montrant aux autres, par son exemple concret, que tout cela est possible; Evoluez, continuez à grandir sur ce chemin.
La vie d’André croise celle de Lisbonne en 2017 et trois ans plus tard, en 2020, un nouveau projet voit le jour, une nouvelle graine de la plante mère qui continue d’être le Purisimpl.
André se consacre aux jardins urbains de Lisbonne avec l’idée d’encourager et de motiver les gens à créer leur propre jardin à la maison.
Et c’est ainsi qu’est né le projet Hortas LX. André a également créé une page Facebook et Instagram dans le but de donner quelques conseils aux personnes qui commencent à aborder cette nouvelle réalité.
Une grande impulsion à ce projet est donnée précisément par la période de crise dans laquelle nous vivons. Cette ère de pandémie a éveillé chez de nombreuses personnes l’envie de reprendre notre planète, de faire quelque chose de concret, et aussi d’apprendre à produire par eux-mêmes ce qui est le plus nécessaire.
La devise du projet Hortas LX est “prendre soin de ce qui prendra soin de nous” , c’est-à-dire de notre alimentation.
Mais ce qui est le plus frappant dans ce projet c’est le fait qu’autour de la création du jardin une vraie petite entreprise se crée, où pas forcément tout le monde doit être capable de planter son propre jardin, car peut-être qu’il y aura quelqu’un qui le plantera pour lui. Ce qui compte vraiment, c’est que tout le monde travaille ensemble pour un projet commun. Une idée d’entraide pour faire naître une société meilleure.
Aujourd’hui Hortas LX est un projet important, avec des services de consultation, des ateliers.
Il existe aussi une école, qui s’appuie sur la réalisation de ses cours, au sein du club sportif de Campolide, et qui a été créée par Fundoambiente, l' »Escola a compostar (école de compostage) qui compte aujourd’hui 500 inscriptions et propose des cours en direct et aussi en ligne.
Ils sont plantés aussi des potagers au sein des entreprises et André est en charge de créer et de gérer les équipes qui s’occuperont de ces espaces. Cela commence par planter le jardin dans un espace commun de l’entreprise puis, une réunion mensuelle pour approfondir à chaque fois un thème différent et en même temps aider à la gestion de l’espace, qui dans un environnement où règne souvent une routine froide, devient une petite oasis à prendre en charge, où nous travaillons ensemble, où nous collaborons à la réalisation d’un projet commun, une façon alternative de créer ce travail de groupe, l’équipe, qui est si important dans les entreprises.
André nous accueille au « Village Underground » où se trouve aujourd’hui son bureau, dans un environnement de co-working. Un lieu, mais aussi un défi: dans un espace fait de pierre et d’anciens bus, aujourd’hui les containers où se trouvent les bureaux, le défi est de le transformer en un environnement verdoyant, à travers ses jardins.
André est aussi un cultivateur de Noocity, créateur des pots intelligents qui entourent les bus où André a construit des jardins où tout ce qui est produit est utilisé dans la cuisine du restaurant du village.
Et les jardins que l’on voit dans le village sont vraiment extraordinaires : plantes aromatiques, fleurs comestibles, légumes et fruits de toutes sortes. Un monde vraiment incroyable. Et devant deux italiens comme moi et Alex, André ne résiste pas et nous prépare le bouquet le plus parfumé qui puisse exister : celui de basilic.
Aujourd’hui, la plus grande satisfaction d’André est d’avoir convaincu ceux qui l’accusaient d’être un rêveur, d’avoir montré que ce pour quoi il se battait pouvait devenir réalité, et qu’il est devenu une réalité concrète. Et encore plus de voir beaucoup de ces personnes aujourd’hui s’intéresser à ce qu’André fait de ses projets.
Après tout, ce projet est à l’image d’André, qui a travaillé en donnant son exemple, montrant qu’il était possible de faire ce dont il parlait. Et aujourd’hui, il y a un peu de lui dans tous les projets qu’il a créés.
Il y a des jardins urbaines à Porto, Setubal, ainsi qu’à Lisbonne. De nouveaux jardins ont été plantés dans les écoles, les entreprises et même dans des maisons privées.
Mais ce qui continue de donner le plus de joie et de satisfaction à André, c’est lorsqu’il se retrouve avec ses plantes, les mains dans la terre et en contact avec la nature.
Ce qu’André essaie de faire à travers ses différents projets et son travail c’est avant tout faire passer le message, un message concret qui dit qu’on peut vraiment prendre soin de notre planète et de notre avenir, mais on peut le faire concrètement, par un retour à la simplicité, à la terre, à nos mains dans la terre. De vraiment s’occuper, comme dit André, de ce qui va s’occuper de nous.
A Lisbonne, dans la place que tout le monde connaît sous le nom de Rossio, au cœur de la ville, il y a une taverne, qui garde le souvenir d’une époque où cette place regorgeait de cafés et de tavernes, l’un des points de rencontre préférés des Portugais.
C’est la Tendinha, qui depuis 1840 continue à représenter l’un des monuments de Lisbonne et au-delà, pour ceux qui veulent faire une pause et manger quelque chose en buvant une bière fraîche ou un verre de vin.
Et quand on dit Tendinha, on dit Alfredo.
Son image et celle de Tendinha sont intimement liées.
Alfredo, alfacinha doc (une belle façon de dire un authentique Lisboète), travaille dans ce lieu depuis plus de vingt ans. Il a vu le temps passer, les lieux et les goûts changer, de nombreux clients, chacun avec sa propre histoire, et est présent dans ce lieu, qu’il connaît parfaitement, depuis 1998.
Je suis sûr que tous ceux qui sont allés à Lisbonne, sont allés à la Tendinha au moins une fois. Et ils se souviendront certainement d’Alfredo.
De nombreuses heures de sa journée sont consacrées au travail et cela peut sans doute être fatiguant, même si Alfredo trouve toujours le moyen de laisser de la place à ses intérêts, comme visiter de nouveaux endroits, ainsi que la photographie et la danse, une passion découverte il y a 20 ans. Sa personnalité est polyvalente, et il a une convivialité qui en font une véritable référence dans ce lieu. Alfredo dit qu’un écrivain a également mentionné la Tendinha dans l’un de ses livres et, évidemment, il n’a pas oublié de le mentionner aussi.
Et si vous voulez connaître l’histoire de Tendinha, il n’y a pas une personne meilleure.
Alfredo nous apprend que la Tendinha n’a eu que trois propriétaires dans sa longue histoire : la première famille était originaire de Viseu et est restée propriétaire des lieux jusqu’en 1974, passant ce lieu de père en fils, puis le dernier héritier, qui s’est consacré à d’autres choses, a décidé de vendre la taverne. Et il y a 12 ans, le propriétaire actuel l’a acheté et est devenu le troisième propriétaire officiel.
Mais la Tendinha, malgré le passage des années, n’a pas beaucoup changé. Le seul changement plus important s’est produit en 1974, puis il est resté presque complètement le même.
Dans son aspect d’origine, il avait un étage supérieur où était produite la ginjinha (liqueur de griottes traditionnelle), qui a ensuite été vendue à l’étage inférieur où la taverne existait et existe toujours.
Tendinha n’a jamais été une taverne où l’on venait juste boire, mais elle vendait aussi toujours des sandwichs et des snacks (croquettes traditionnelles à base de morue ou de viande ou de crevettes, etc.).
Lorsque la Tendinha a été fondée, c’était en 1840, bien que récemment un article de journal rapporte son inauguration au 1818. Lisbonne était très différente de ce qu’elle semble aujourd’hui, les limites de la ville n’étaient pas loin de Rossio et, où se trouve aujourd’hui l’élégante Avenida de Liberdade , étaient des potagers.
Les gens ne mangeaient pas à la maison, entre autres dans de nombreuses maisons il n’y avait pas de cuisine, car le charbon dans les maisons en bois aurait été la cause immédiate de incendie. Pendant longtemps, manger dans des tavernes ou dans les soi-disant « casa de pasto » était une habitude courante et cela explique aussi le faible coût, dans les anciennes tavernes, encore aujourd’hui. Manger dehors n’était pas un luxe, c’était une nécessité. Et dans le passé, dit Alfredo, les gens venaient ici pour chauffer ou cuisiner et en échange ils achetaient du vin.
Au fil du temps, les goûts des gens ont également changé et certaines « recettes » n’existent plus. Alfredo nous raconte, par exemple, que jusqu’à il y a quelques années, on achetait chez la Tendinha des sandwichs avec des croquettes de morue et de la marmelade de coing, ou du jambon avec des croquettes de morue ou de veau étaient combinés dans un même sandwich. Aujourd’hui, l’offre est plus moderne et mieux adaptée aux goûts du moment.
Mais le menu n’était pas le seul grand changement de Tendinha. Il y a dix ans, dans une taverne tenue par un homme et fréquentée par des hommes, une femme est arrivée : Margarida.
Il nous semble étrange de penser qu’il y a seulement dix ans une femme pouvait avoir des difficultés à être accueillie, mais la Tendinha a toujours été un lieu hors du temps et a toujours été un lieu très conservateur, où les clients réguliers allaient boire un verre et, buvant un verre de vin, ils parlèrent à Alfredo, d’homme à homme.
Quand Margarida a commencé à travailler à la taverne, nous dit-elle, on lui a parfois dit qu’ils attendaient qu’Alfredo soit disponible pour lui demander directement.
Margarida a dû faire face à de nombreuses difficultés pour s’intégrer dans ce milieu, mais elle ne manque pas de caractère et c’est pourquoi aujourd’hui il n’y a pas de Tendinha sans Alfredo, mais non plus sans Margarida.
Il lui faut un certain temps pour commencer à raconter, mais quand c’est le cas, cela ouvre une boîte à souvenirs vraiment irrésistible. Et là, on constate que de nombreux clients, témoins des discussions irrésistibles entre les deux, pensent souvent qu’ils sont mariés et Margarida nous avoue que lorsqu’elle a commencé à y travailler, pour se défendre contre des prétendants indésirables ou pour affirmer sa présence dans la taverne, elle et Alfredo faisaient semblant d’être mariés.
Aujourd’hui, ils ressemblent vraiment à un vieux couple : ils se chamaillent, se taquinent, plaisantent. Et en faisant cela, ils créent un environnement de travail vraiment unique, composé de beaucoup de travail, mais aussi de beaucoup de rires.
Parmi les épisodes qu’elle nous raconte, elle nous raconte aussi qu’au début de sa présence là-bas dans la taverne, de nombreux clients, habitués à avoir des conversations de « bar » et des commentaires non appropriés à la présence d’une dame, par exemple à propos de l’ancien cinématographe du Rossio, désormais dédié aux peepshows, et ils ont commencé à inventer un code, à parler d’avions et de boings pour ne pas être compris par Margarida, du moins le pensaient-ils. Parfois, elle allait à la cuisine pour les mettre plus à l’aise.
Mais il y a aussi des souvenirs poétiques, comme Signor César qui a écrit des poèmes sur les serviettes que Margarida conserve encore dans une boîte. Une fois, un groupe de poètes angolais s’était réuni à l’intérieur de la taverne et avait passé la nuit à rien consommer, mais à réciter de la poésie pendant des heures et des heures, créant un moment dont Margarida se souvient comme étant vraiment magique.
Bien sûr, il y a aussi quelqu’un qui a déjà beaucoup bu ou qui vient boire après être passé par beaucoup de bars et là Alfredo a sa façon d’éviter de servir plus : « avez vous une carte de membre ? Non? Désolé je ne peux vous rien servir »
La Tendinha est un lieu unique dans son genre et tout garantit la préservation de l’environnement ancien : le lieu, la carte et même les verres que le nouveau propriétaire garde soigneusement pour faire partie de l’histoire de ce lieu.
Il est évident qu’au fil du temps la clientèle de Tendinha a changé. Avant, un touriste arrivait par semaine et maintenant il y a plus de touristes que de locaux. Avant, ils allaient à Tendinha car c’était une référence, maintenant ils s’arrêtent car au cœur de Lisbonne c’est encore un restaurant pas cher.
Mais quelle qu’en soit la raison, vous serez certainement fasciné par le lieu et, surtout, par l’atmosphère qu’on y respire.
La Tendinha est un lieu chargé d’histoire.
L’un des rares endroits qui peut être fier d’avoir un fado qui lui a été dédié (Velha Tendinha).
Et c’est précisément les mots de ce fameux fado qui est désormais clairement marqué à l’entrée de la taverne et sur les tabliers de ceux qui y travaillent : « Velha Taberna nesta Lisboa moderna».
Alfredo et Margarida continuent à rendre ce lieu unique, joyeux, affrontant le travail acharné avec un sourire et une plaisanterie, qui ne peuvent manquer d’engager les personnes présentes.
Et ils aiment tous les deux être en contact avec les gens et le fait que travailler dans cet endroit leur permet de se connecter avec des personnes et des cultures différentes chaque jour.
Ceux qui passent par la Tendinha laissent une dédicace, une pensée dans le carnet d’Alfredo qui en compte désormais plus d’un, témoignage du passage de ceux qui, même pour quelques heures, ont fait partie de l’histoire de ce lieu.
Après tout, dit Margarida, le charme de cet endroit est juste d’entrer seul et de parler à quelqu’un, car comme dans les vieilles tavernes du passé, entre un sandwich et un verre de vin, on se met à parler à des étrangers qui, avant la bouts de verre, ils ne sont plus des inconnus.
Et quand quelqu’un essaie de s’immiscer dans cette tradition en demandant « Il’y à le Wi-FI ? », ils répondent « Non, ici on parle ».
Car la Tendinha n’est pas qu’une taverne, mais un lieu de rencontres, d’histoires et de rires.
Dans le vieux quartier d’Alfama, dans la rua do Salvador 83, vous tombez sur une petite boutique / atelier d’un artiste vraiment unique: Alberto. Et gardant sa boutique, allongé juste sous la porte, se trouve son chat Gordon.
Né en Angola en 1969, Alberto vit à Lisbonne depuis plus de trente ans. Il a vécu dans différents quartiers, mais depuis environ 15 ans, Alfama est devenu sa maison.
Quand il est arrivé dans ce quartier et dans cette rue presque personne ne voulait y vivre, il faisait partie de la Lisbonne moins soignée, plus abandonnée. Mais Alberto a immédiatement montré son esprit combatif, impliquant également les autres habitants du quartier à participer, s’occupant eux-mêmes du nettoyage et de l’entretien de cette rue. Quelques années plus tard, la zone a été réévaluée. Mais Alberto aurait fait une autre grande petite découverte : une plaque ancienne, cachée par des câbles électriques, qui se révélera plus tard être un panneau routier de l’Antiquité, le plus ancien de la ville.
Et c’est précisément ici qu’Alberto nous accueille dans son univers, dans son atelier où il réalise et vend ses œuvres. En entrant, on est tout de suite frappé par l’ambiance vintage qui règne dans le magasin. Partout, des objets décorés de revues anciennes nous ramènent dans le passé: paravents, tableaux, miroirs, objets en tout genre. Mais surtout des valises: des valises anciennes de toutes formes et de toutes tailles, auxquelles Alberto a redonné vie.
Donc je m’assieds et l’écoute pendant qu’il me raconte comment ça a commencé.
Il était très jeune lorsque sa famille l’a envoyé au Portugal, et le Carmo et le Chiado seront sa première maison. Alberto commence à travailler dans différents domaines, mais son désir était de pouvoir utiliser des compétences manuelles. L’esprit artistique a toujours fait partie de lui, essentiellement dans sa famille du côté paternel étaient des artistes, des musiciens, des poètes. Alberto a toujours eu l’art dans ses gènes.
Son grand rêve avait toujours été de faire un jour son œuvre de cette passion pour l’art manuel. Et pouvoir vivre de son art.
Il y a 16/17 ans, un accident grave change tout, blessant gravement les doigts d’une main. Mais Alberto n’abandonne pas et commence à travailler à la Feira da Ladra, le célèbre marché aux puces de Lisbonne. Et c’est là qu’il se retrouve projeté dans un monde d’objets anciens, et deux choses retiennent son attention: les magazines d’époque et les vieilles valises.
La valise: un objet que l’on associe aujourd’hui aux voyages et aux vacances, mais qui pour Alberto est un souvenir important de sa vie. Lorsqu’il était encore enfant, en pleine guerre civile dans son pays, il devait souvent déménager, s’enfuir. Et puis la valise était la gardienne des choses importantes, c’était la maison que tu emportais avec toi.
D’un endroit à l’autre, la vie enfermée dans une valise.
Et donc la valise pour Alberto, c’est le souvenir de ce passé, un passé qu’il n’a pas forcément envie de raconter, non pas parce qu’il veut l’oublier, mais parce qu’il dit qu’il n’est pas de ces artistes qui ressentent le besoin de faire public leur propre enfer personnel afin d’être compris et appréciés.
Ce qu’Alberto a vécu dans son enfance n’était certes pas facile, mais ce n’est pas ce dont il veut se souvenir. Alberto se considère comme une personne chanceuse et est toujours avec un sourire qu’il veut regarder la vie, à la recherche des belles choses qu’elle a à nous offrir.
Et puis cet objet lié à une mémoire du passé, la valise, se transforme et retrouve une nouvelle vie à travers les magazines d’époque.
Alberto commence alors à créer des collages d’images vintage et avec celles-ci il commence à décorer de vieilles valises et, à l’endroit même qui l’a inspiré, la foire Ladra, il commence à les vendre.
C’était à des époques différentes, à l’époque il n’y avait pas trop de place pour les auteurs, les artistes. Son idée est originale, mais qui se heurte au départ à de nombreux préjugés, sur l’idée elle-même et sur qui a eu cette idée.
Mais comme nous l’avons déjà compris, Alberto n’abandonne pas facilement et continue donc sur sa lancée et commence à connaître un certain succès, d’abord plus chez les étrangers que chez les Portugais.
Un épisode lui fera comprendre qu’il est sur la bonne voie : un jour, une fillette de 8/9 ans est complètement fascinée par l’une des valises d’Alberto et commence à demander à ses parents de l’avoir. Si la mère répond avec indécision, le père décide de faire plaisir à sa fille qui réagit avec une joie et un bonheur qu’Alberto peut à peine décrire. Il se souvient parfaitement de ce moment, du bonheur de cette petite fille, comment elle serrait sa serviette dans ses bras, comment elle était reconnaissante envers ses parents. Alberto avait compris que si une de ses œuvres avait pu rendre cet enfant si heureux, alors c’était précisément sa voie.
Et s’en souvenant, il est toujours ému. Et elle avoue que lorsqu’elle a quelques instants de désespoir, encore aujourd’hui, c’est justement à cette petite fille qui y pense.
Le tournant est venu lorsque la propriétaire d’alors de la celebre boutique A vida Portuguesa, et qu’Alberto connaissait déjà, ouvre sa première boutique de cette célèbre marque et demande à Alberto de pouvoir vendre ses valises. Alberto accepte également car Catarina montre immédiatement une grande confiance en son travail, lui proposant d’acheter ses œuvres puis de les vendre dans sa boutique. Et là, le grand tournant. Les valises d’Alberto commencent à avoir un énorme succès et son travail devient de plus en plus connu. Et Alberto comprend que c’est précisément cela, étant un artiste, son destin.
La vie d’Alberto n’a pas toujours été simple, divers problèmes de santé ces dernières années l’ont mis à rude épreuve, mais c’est un vrai guerrier et il s’en est toujours sorti. Et c’est aussi pour cette raison que le but principal de son art est de donner le sourire.
Alberto précise que l’utilisation d’épisodes tristes de son histoire dans son art ne l’intéresse pas. Cela ne veut pas dire qu’il ne veut pas envoyer de message. Les images qu’il choisit pour la création de ses collages ne sont jamais fortuites, mais visent à lancer un message lié à la société d’aujourd’hui, ou à représenter des aspects de la vie actuelle et des gens qui nous entourent. Mais le message est pour quelques-uns. Beaucoup s’arrêtent à la beauté de la décoration. Et Alberto est d’accord avec ça. Que vous vous demandiez plus longtemps ou que vous appréciiez simplement la beauté du travail, l’important est qu’Alberto reçoive le message positif, l’observe et sourie, se sente joyeux avec son travail entre ses mains.
C’est ce que veut Alberto. Il se définit comme un esthète, apprécie la beauté et recherche la beauté, sous toutes ses formes, dans tout et dans toutes les situations de sa vie. Pour lui, c’est le plus important. Il dit que la vie est une boîte pleine de surprises. Cela me fait penser à Tom Hanks dans le célèbre rôle de Forrest Gump quand il dit que la vie est une boîte de chocolats et on ne sait jamais ce qui t’arrive.
Après tout, la philosophie de vie d’Alberto est précisément celle-ci : ouvrez la boîte et soyez surpris.
Parfois il y a des moments de difficultés, aussi parce que pour gagner sa place dans la société on finit par appartenir à un groupe, à une catégorie, et cela signifie parfois aussi apprendre à faire des compromis. Mais Alberto fait preuve de patience pour les situations plus compliquées et continue de souligner à quel point il se sent chanceux de pouvoir vivre avec le travail qu’il aime et pourquoi il a finalement obtenu son emploi.
Alberto aime le contact avec les gens et cela se voit aussi dans les allées et venues des gens qui passent devant son atelier, ne serait-ce que pour saluer.
Aujourd’hui, sa maison se trouve à Alfama, mais il a parcouru presque tout Lisbonne et la connaît bien. Comme il nous le raconte, il est allé de colline en colline, du Chiado, lorsqu’il est arrivé, dans le Lisbonne le plus raffiné et le moins populaire, à Alfama, le quartier le plus populaire de tout Lisbonne. Un quartier dont Alberto se souvient comme très vivant, avec beaucoup de monde dans la rue. Et même maintenant que Lisbonne change, se modernise, devient de plus en plus cosmopolite, avec de nombreux passants, Alberto voit le côté positif de ce changement qui, selon lui, donne une nouvelle vie à la ville.
Mais dans cette Lisbonne moderne et cosmopolite, son atelier reste un lieu presque hors du temps. Aujourd’hui Alberto se consacre principalement aux panneaux, aux petites peintures. Et quand il n’arrive pas à se concentrer, il sort, se promène, se tait pour contempler puis revient et se met à créer.
Aujourd’hui, on ne peut acheter ses œuvres que dans son atelier mais beaucoup, notamment les Portugais, demandent à Alberto de créer des œuvres sur mesure.
Avant de partir, j’ai une dernière question pour Alberto : pourquoi la rose sur la poitrine ?
Alberto me dit qu’il y a environ 15 ans, il luttait contre une maladie dont il n’a parlé à personne. Ses collègues de la Feira da Ladra avaient visiblement remarqué le changement physique, mais personne n’a osé demander. Un jour, un homme qui ne s’entendait pas du tout avec Alberto, celui qui l’avait moins bien reçu, s’approcha de lui et demanda à Alberto comment il allait. Et il lui avait donné une fleur à mettre sur sa poitrine, comme symbole d’espoir, de vie, de confiance. Et depuis lors, Alberto a toujours porté une fleur dans sa poitrine, car même aujourd’hui, alors que la maladie est loin, ce geste ne doit pas être oublié.
Un geste inattendu, une main tendue par ceux qui ne s’y attendaient pas, un message d’espoir qu’Alberto veut garder en mémoire. Car, comme il le dit, la vie surprend quand on s’y attend le moins.