Lire dans un article que 10 records du monde ont été atteints à New York en 2021 nous impressionne.
Mais si on vous disait qu’à Almada, dans la petit Cacilhas, il y en a trois ?
Et ils sont tous concentrés dans les mains d’une même personne : Eduardo Diniz Henriques.
Mais allons dans l’ordre et commençons à connaître de plus près Eduardo et son histoire.
Né à Coimbra, il est arrivé à Lisbonne enfant; et aujourd’hui il nous raconte une histoire digne d’un livre.
Il part pour le service militaire dans l’aéronautique et arrive ainsi au Mozambique. Le contact avec l’Afrique le marque à jamais.
Il commence à parler de ces lieux, de son peuple, des années de travail liées à ces terres et il en ressort un amour évident pour l’Afrique et une nostalgie pour ces terres qui l’accompagnent encore. Son regret, dit-il, est de ne pas y être resté.
C’est au Mozambique qu’Eduardo décide d’embarquer et de commencer sa vie en mer. Initialement en tant que « contrôleur de charge » et plus tard en tant que « pilote de navigation ». En attendant il étudie le nautisme et devient pilote (celui qui aide le commandant dans les eaux portuaires dans les manœuvres d’accostage ou de départ). Il consacrera une quinzaine d’années de sa vie à travailler sur des navires.
Quand il nous parle de ces années, il le fait avec enthousiasme. Après tout, il vient d’un peuple de navigateurs. Et ça Eduardo ne l’oublie pas. Et il porte avec fierté cet héritage historique et culturel.
Il alterne son histoire avec celles de l’histoire portugaise, se souvient des endroits où le peuple lusitanien est arrivé il y a plusieurs siècles et quand il a lui-même pu les visiter.
D’une certaine manière avoir vécu dans la mer, avoir traversé ces lieux, lui a permis de comprendre les difficultés que ses ancêtres avaient vécues avant lui.
Et il commence à nous raconter quand, à bord d’un navire, l’Induna (qui, explique-t-il, en zoulou signifie « celui qui commande ») a fait des voyages de trois jours entre Durban et Le Cap. Il explique qu’au cours de ces voyages il avait compris les difficultés que les navigateurs avant lui avaient rencontrées dans le passage du cap de Bonne-Espérance. Les courants qui se rencontrent et se heurtent entre l’océan Atlantique et l’océan Indien créent de terribles tempêtes.
Et lui, comme dans un livre d’aventures, a traversé ces tempêtes, travaillant à l’époque comme deuxième pilote.
Il nous raconte cette expérience avec de nombreux petits détails, traçant un chemin à travers une ligne imaginaire sur la table. Et son regard s’illumine lorsqu’il raconte comment il a survécu à la tempête et à la vision d’un énorme rocher s’élevant de la mer. « J’ai compris ce que ressentaient les marins portugais et pourquoi ils pensaient que de grands monstres habitaient ces eaux » – nous dit-il.
Et c’est de ces expériences liées à la mer et à ses nombreuses aventures que naît la passion pour le monde nautique, et deux activités qui, nous dit-il, sont interconnectées: la collection d’objets d’art nautique et la création d’immenses tableaux ornés de pièces de monnaie de tout le monde.
La première passion est née d’une sorte de fierté: dans les années 76/77 il travaille sur un navire frigorifique en Hollande et se retrouve, dans un port hollandais, en présence de divers objets nautiques et parties de navires portugais. Et puis il s’est dit que ce n’était pas bien pour lui, un Portugais, de regarder pendant que d’autres pays achetaient et exposaient des parties de l’histoire de son pays.
Et de là, il s’était mis à acheter des morceaux de navires anciens, certains même très rares, et à les collectionner. Son rêve serait de pouvoir acheter une villa à Malaga qu’il a visitée et qui regorge d’objets nautiques. Un vrai trésor. Aujourd’hui il en revend, c’est devenu son métier. Mais les quelques clients sont étrangers.
Et les étrangers sont aussi ceux qui s’intéressent habituellement à sa grande passion, celle qui lui a valu trois records du monde : la création de tableaux avec des pièces de monnaie du monde entier.
La création de ces peintures, souvent de dimensions énormes, implique tout un processus assez compliqué. Une fois qu’il eut l’idée du sujet, lié au thème de l’expansion maritime portugaise, il réalisa le dessin sur une feuille afin de créer les mesures à l’échelle. Puis il choisit les pièces, car elles doivent être adaptées aux mesures à réaliser, et compte combien de pièces seront nécessaires pour faire le tableau.
À ce stade, il passe au dessin et à la peinture et, enfin, à l’application patiente de pièces de monnaie, sur lesquelles un morceau de ruban adhésif est appliqué. Et enfin, complétez le tout avec une couche de vernis transparente.
Evidemment tout est préparé avec soin, même la couleur devant servir de base au dessin, qui doit mettre en valeur la couleur des pièces, et les pièces elles-mêmes, qui sont tantôt neuves (plus claires et plus brillantes), tantôt plus anciennes mais polies, d’autres anciens et non polis, pour créer différentes variations et intensités de couleurs.
La préparation d’un tableau, selon la taille, peut prendre environ six mois.
Incroyable, par exemple, c’est le tableau Brésil avec 17 630 pièces, moitié brésilienne et moitié portugaise.
Mais comment est née cette idée ? Pourquoi ce thème et pourquoi les pièces de monnaie ?
Eduardo nous dit qu’il se consacrait depuis un certain temps à la collection de pièces de monnaie et qu’il en avait donc beaucoup. Certains achetées, d’autres échangées dans les foires d’antiquités contre d’autres objets.
Il avait pensé faire quelque chose avec et puis il avait lié l’idée de pièces de monnaie à l’idée de chance, et quelle plus grande chance que celle de la grande histoire maritime portugaise ?
Eduardo ne cache pas que derrière cette idée il y a aussi beaucoup d’amertume.
Aujourd’hui, quand on parle du Portugal, on parle souvent d’un petit pays pauvre. Il semble qu’il soit presque difficile de se souvenir de l’époque glorieuse de ce pays.
Et Eduardo se dit très déçu de l’attitude des Portugais eux-mêmes qui semblent souvent résignés à cette idée de leur propre pays et qui ne font rien pour montrer au monde une réalité différente.
Eduardo est très aguerri et défend sa liberté d’expression et tient à souligner que le 25 avril (1974, la fin de la dictature ndlr) était d’un certain point de vue le 25 « du malheur » car beaucoup de choses ont changé, le pays il a oublié sa gloire et son passé.
Et c’est précisément cette gloire qu’Eduardo veut redécouvrir à travers ses œuvres.
Son premier tableau ne l’a plus : lors d’une exposition à l’université Lusofona, il a été acheté par le recteur. Il représentait le monstre Adamastor, celui des Lusiades de Luis Vaz de Camões, tous fabriqués avec des pièces de monnaie portugaises.
Mais il y a trois autres tableaux qui lui ont valu les titres de Guinness World Records, dans l’ordre :
– Le tableau Bandeira (Drapeau) réalisé avec 19 045 pièces
Au centre, la carte du Portugal. Ci-dessous les mots LUSITANIE, PORTUGAL, PATRIE, FOI EN DIEU. En bas le drapeau portugais.
Maintenant, de telles grandes peintures ne sont plus réalisées, car elles nécessitent un investissement financier important. Aujourd’hui, il crée des peintures plus petites, avec l’insertion de quelques pièces de monnaie.
Reste le projet d’une dernière œuvre qu’il n’a pas réussi à réaliser et dont il nous montre les dessins : un tableau de 20 mètres de long dans lequel devaient être représentés le Brésil et le Château de São Jorge et pour lequel il faudrait 150 000 pièces.
Le rêve d’Eduardo aurait été de pouvoir exposer ces œuvres, dont ses peintures, mais aussi des crèches, des objets nautiques et des horloges faites avec des pièces de monnaie, dans un espace muséal.
Eduardo est combatif et il a vraiment tous essayé: il a écrit aux journaux, au président des banques européennes et portugaises, à toutes les institutions liées à la culture, mais pour le moment son desire n’a pas été satisfait.
Des étrangers lui rendent visite de temps à autre, un journaliste canadien lui a même consacré un article. Mais ses œuvres continuent de s’accumuler dans son atelier.
Aujourd’hui, à 76 ans, il nous dit qu’il ne s’attend plus à réaliser son rêve, mais il le dit avec un regret et une tristesse évidents.
Il montre aussi fièrement une lettre de José Hermano Saraiva, à qui il avait envoyé un petit livre, dans laquelle l’historien promet de garder ce livre à la bibliothèque, et une autre lettre du Pape Jean-Paul II qui le remercie pour le livre dont lui avait fait don. Le pape François lui a aussi écrit, nous dit-il.
Nous repartons avec une dernière question : son rêve.
Et Eduardo nous donne peut-être la seule réponse qu’un homme aux mille aventures comme lui pourrait nous donner: « Gagner à la loterie pour pouvoir construire un musée dans lequel laisser mes œuvres à tous ceux qui veulent les voir et ensuite acheter un petit bateau et faire le tour du monde ».
Réussira-t-il ? Nous ne pouvons qu’imaginer quelles autres aventures il aura alors à nous raconter.
Si vous voulez visiter l’atelier d’Eduardo à Cacilhas, c’est Rua Elias Garcia, 34